Où est passé l'audace?
- cobbling
- 28 sept. 2015
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Nous sommes le Dimanche 5 Avril 1992 à Sint-Niklaas, ville néerlandophone de Belgique située dans la Province de Flandre-Orientale, à l'aube de la 76e édition du Ronde van Vlaanderen. Ce matin là, un homme ignorait sûrement encore qu'il s'apprêtait à réaliser un exploit retentissant. Jacky Durant. Ce nom ne vous est très certainement pas inconnu. Consultant en cyclisme sur la chaine Eurosport, coureur éliminé du Tour de France pour s'être accroché aux voitures dans l'ascension du Plateau de Beille en 2002, vainqueur de Paris-Tours en 1998 mais aussi et, oserais-je dire, surtout, dernier vainqueur français du Tour des Flandres. C'était un Dimanche 5 Avril... un dimanche de 1992. Je n'étais pas encore de ce monde lorsque monsieur Durant a éclaboussé le monde de son panache, une fois de plus, concrétisant ainsi une longue carrière de baroudeur, ajoutant ce véritable monument du cyclisme à un palmarès professionnel qui n'était alors, qu'une ébauche du CV bien garni dont il disposera douze ans plus tard, au moment de raccrocher le vélo. Jacky Durant était un coureur de panache, un coureur au talent indéniable, l'un de ces coureurs véritablement allergique à la montagne, aux lacets et aux forts poucentages et pourtant, Jacky Durant était l'un de ces coureurs que l'on aimait regarder pour son tempérament en course. Seulement voilà, le cyclisme a, depuis, bien évolué et voilà que dans notre cyclisme moderne, 23 ans après le Tour des Flandres 1992, les courses sont devenues de plus en plus stéréotypées, les managers d'équipes donnent de plus en plus l'impression d'être planqués derrière leur console de jeu suivant ainsi l'évolution de la course en s'offrant un Championnat du Monde du jeu vidéo grandeur nature. Nous nous retrouvons ainsi avec des courses qui ne laissent plus aucune place au hasard et des épreuves ayant une facheuse tendance à se terminer au sprint. Qui aurait cru, en 1992, que Jacky Durant serait l'un des derniers, si ce n'est le dernier, coureur à remporter l'un des cinq monuments du cyclisme après une échappée de plus de 200km en tête de course? Comprenons aussi nos coureurs actuels. Quel serait l'intérêt pour un coureur de se lancer dans une longue, et épuisante, échappée, sur une épreuve, sachant pertinemment que ses chances de se transformer en victoire sont, inéluctablement, infimes? Il n'y en a aucun. Sachant que le peloton fini, le plus souvent, par s'organiser et emmener tout notre petit monde vers un sprint, quel serait alors l'intérêt pour un coureur lambda de sortir du rang dans le final d'une course? Encore une fois aucun, si ce n'est de se faire charier par les autres équipes quelques mètres plus loin, une fois rentré dans le rang, conscient, ou pas, de son offensive suicidaire.
Ce n'est cependant pas pour autant que le cyclisme moderne se traduit uniquement par une histoire de sprinteurs. Il est évident qu'avoir un sprinteur capable d'aligner les victoires est un atout considérable dans une équipe. Cependant, avez-vous déjà vu, un coureur que l'on qualifie de pur sprinteur, remporter l'un des trois Grands Tours? Pas moi. Laurent Jalabert n'ayant jamais réellement appartenu à une catégorie de coureur bien spécifique à mon sens.
Une tout autre question se pose alors: que pouvons nous faire pour éviter que toutes les courses ne se terminent, inévitablement, par un sprint massif?
La réponse semble des plus simples: il faut ajouter des difficultés aux différents circuits que proposent les organisateurs. Prenons un exemple très simple et très commun. Le Tour de France. Christian Prudhomme et son équipe se félicitent de mettre à mal les favoris dès la première semaine du Tour, qui était, il y a bien longtemps, traditionnellement "réservée" aux sprinteurs. Les difficultés s'enchaînent donc durant la première semaine de l'épreuve, avec, comme nous avons pu le voir cette année, des arrivées au sommet après 3 jours de course puis une étape de pavés le lendemain. Je n'ai absolument rien contre l'idée de faire arriver le Tour de France au sommet du Mur de Huy, ni même contre le passage de la caravane du Tour sur les secteurs pavés habituellement réservés au mois d'Avril mais je pense aux sprinteurs. Je pense à des garçons comme Mark Cavendish, je pense à des garçons comme Marcel Kittel ou André Greipel qui axent véritablement leur saison sur le Tour de France. Est-ce un bon plan? À bien y réfléchir, dans la conjoncture actuelle propre au cyclisme, ma réponse est négative. Pourquoi, à la place d'un Mark Cavendish prendrais-je aujourd'hui le risque d'axer toute ma saison sur le Tour de France alors que les organisateurs ne m'offrent que 5 ou 6 réelle oportunités de sprint sachant que l'approche d'un sprint se traduit très souvent par un risque de chute accru et que mes chances de victoires seraient rarement de 5/5. Pourquoi ferais-je le déplacement alors qu'entre ces étapes qui me sont destinés j'aurais dû avaler et digérer l'ascension du Mur de Huy, le passage des secteurs pavés, les différents cols des Alpes et des Pyrénées et, éventuellement, un contre-la-montre individuel? Pourquoi venir alors que les organisateurs d'épreuves cyclistes, et plus particulièrement les organisateurs de Grands Tours, accordent leurs violons pour avoir encore et toujours plus de spectacle? Pourquoi venir alors que, même sur des épreuves "ouvertes" aux sprinteurs comme Milan-San Remo, on souhaite absolument ajouter une difficulté supplémentaire aux derniers kilomètres afin de s'assurer que les sprinteurs ne passeront pas cette ultime ascension et que le vainqueur ne sera pas un "Roi du sprint"? À quoi bon me déplacer sur le Giro ou sur le Vuelta alors même que le maillot du classement par points qui récompense traditionnellement le "meilleur sprinteur" est désormais plus souvent décerné à un coureur placé au classement général final qu'à un réel sprinteur? À quoi bon venir sur le Tour de France si le maillot vert du Tour est décerné à un garçon comme Peter Sagan, toujours placé mais jamais vainqueur qui assoie sa domination au classmement du maillot vert là où les autres sprinteurs sont mis en difficultés à savoir lors des arrivées en bosse ou grâce à des échappées lors des étapes de montagne.
Quel est l'intérêt aujourd'hui d'être sprinteur et uniquement sprinteur? Gagner des courses, certes. Mais cela vaut-il réellement le coup aujourd'hui de gagner 20 courses dans une année si aucune de vos victoires n'a été remportée sur le circuit World Tour? Cela dépend de la division de votre formation me direz-vous. Il est évident que pour un garçon comme Baptiste Planckaert, une victoire sur une épreuve Hors-Classe comme le Grand Prix de Fourmies aurait une énorme valeur. Mais quelle est la valeur de cette même victoire pour un garçon comme Nacer Bouhanni?
Il semble évident que le coureur moderne, et plus particulièrement le sprinteur moderne doit être un coureur "multitâches". Des garçons comme Nacer Bouhanni, Alexander Kristoff, John Degenkolb ou Peter Sagan sont parfaitement en phase avec ce que j'appellerai leur époque cycliste. Ces garçons sont capables de jouer sur plusieurs regsitres. Certains sont des sprinteurs à leur aise dans les classiques flandriennes, d'autres sont plutôt à leur aise sur les arrivées difficiles et c'est cela qui convient à la conjoncture du cyclisme moderne. Leur époque cycliste est telle qu'un sprinteur incapable d'escalader une bosse de 2-3 kilomètres n'a pas sa place dans le peloton. Le cyclisme moderne est tel qu'un garçon comme Mario Cippollini aurait tout le mal du monde à décrocher ses 42 victoires d'étapes dans le Giro s'il était né 10 ou 15 ans plus tard. Le cyclisme moderne est tel qu'un garçon comme Denis Flahaut, qui fut très certainement l'un des meilleurs sprinteurs de sa génération, a eu un mal fou à passer professionnel et à le rester car incapable de passer les difficultés répertoriés alors qu'il est parvenu à éclabousser le peloton de toute sa classe sur des épreuves plate comme la main telles que le Grand Prix de Denain (victoire en 2010) ou Putte-Kapellen (victoire en 2009).
Le cyclisme moderne est tel que, le simple sprinteur tel Denis Flahaut ou Mario Cippolini aurait tout le mal du monde à décrocher ne serait-ce qu'une victoire par saison car les organisateurs d'épreuves dites "accessibles aux sprinteurs" se sont lassés de voir leur épreuve se terminer chaque année par un sprint massif, parce que les spectateurs se sont, eux aussi, lassés de voir les sprinteurs se disputer les victoires sur plus de 70% des épreuves. Mais le cyclisme moderne est tel qu'un Paris-Roubaix ou un Liège-Bastogne-Liège risquent fortement de se jouer dans un sprint à 10-15 coureurs car une attaque dans les 15 derniers kilomètres serait une véritable hypothèque des chances de victoires dans la mesure ou le reste du groupe pourrait, éventuellement se mettre à rouler pour empêcher le coureur offensif de remporter la course. Cela fait beaucoup d'éventualités n'est-ce pas? Beaucoup de paramètres à prendre en compte? Mais c'est aussi cela, le cyclisme moderne, un cyclisme ou les coureurs sont devenus des chiffres que le directeur sportif tente de mettre dans le bon ordre pour résoudre son équation et trouver le meilleur rapport résultat/performance pour son coureur.
Alors oui, cette indéfectible envie de proposer encore et toujours plus de spectacle est en train de tuer, petit à petit, le cyclisme. Je ne crois pas que la solution soit un changement de parcours. Je ne crois pas non plus que les managers d'équipes soient les seuls à blâmer. La solution se situe quelque part entre cette fameuse équation résultat/performances qui se traduit également, dans le language du sponsoring par une équation investissement/retour sur investissement. C'est quelque part à la frontière entre ces deux éléments que l'audace d'un Jacky Durand s'est dispersée, c'est quelque part entre ces deux notions fondamentales au sport business que les organisateurs ont eux perdu leur sagesse et leur logique. C'est également quelque part entre ces deux notions que se trouve très certainement que doit se trouver un avenir pérenne pour le sport cycliste.
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